Source

Par Kalman Liebskind, paru dans le quotidien Maariv le 21/09/19

Traduit de l’hébreu par Meïr Ben-Hayoun

Suite aux élections du 17 septembre 2019, l’analyse de la crise au sein de la droite israélienne par un des principaux éditorialistes du courant sioniste religieux.

Après avoir jeté à la poubelle 138 mille voix lors des élections d’avril dernier et ayant ainsi compromis l’édification d’un gouvernement de droite stable, les gens de la « nouvelle droite » se révèlent être un échec cuisant pour la seconde fois consécutive.

Kalman Liebskind, journaliste à la chaine israélienne TV Kan 11 et à Maariv

J’ai voté pour Yemina. Je crois qu’Ayelet Shaked a été une excellente ministre de la justice et que Naphtali Bennett a été un très bon ministre de l’éducation. Je crois également qu’on peut leur attribuer l’esprit nouveau qui a soufflé sur le sionisme religieux lorsqu’ils ont fait leur entrée en trombe sur la scène politique israélienne en 2013. Or tout ceci ne saurait éluder le fait que lors de deux élections, pas moins que ça, alors que des pans entiers du sionisme religieux ont cru en eux, tout cela s’est effondré. Cela a été douloureux, même très douloureux.

Bennett et Shaked se sont révélés pour la deuxième fois consécutive un échec politique cuisant. Si ce n’était qu’un échec personnel ? Or cet échec coute très cher au camp national et l’a fait dégringoler là où il se trouve aujourd’hui. Shaked considérée comme la grande promesse pouvant   devenir Premier ministre, il s’est avéré qu’une mission de leadership politique la dépasse de plusieurs têtes. Bennett de son côté à chaque carrefour,il prend le mauvais tournant.

Commençons déjà par le fait que nous avons été plongés dans ces élections à cause de ces deux personnages ; Netanyahou s’en est sorti des élections précédentes alors qu’il disposait de 60 sièges  pour sa coalition (sans Lieberman); Et à la poubelle il y avait quatre mandats des voix de la nouvelle droite, de cette new venture ratée des deux stars du sionisme religieux. S’ils ne s’étaient pas engagés dans cette entreprise superflue où leurs votes ont été gaspillés, la droite serait aujourd’hui bien au pouvoir et de façon stable. « Dans un cas de figure pas si fantaisiste que ça où l’un des deux partis politiques ne parviendrait pas au seuil d’éligibilité » avais-je écrit en janvier dernier, juste après leur scission avec Habayit hayehoudi, « cette mésaventure risque de se solder par un renversement de pouvoir ».

Ce n’était ni une prophétie ni une analyse savante. C’était cousu de fil blanc, mais Bennett et Shaked n’avaient pas eu la présence d’esprit de l’envisager. Les media, que ce soit la presse générale ou la presse sectorielle, chacune pour ses raisons propres, les avait encouragés et promus comme une nouvelle marque de lessive. Et ils ont cru à ce qu’on écrivait sur eux.

Pour qui l’aurait oublié, rappelons que la manœuvre de se séparer de Habayit hayehoudi n’était pas une démarche sincère. Cela s’est fait par subterfuge, cinq jours après que Bennett eut envoyé un message aux membres du parti pour lequel il s’engageait : « je suis déterminé à m’unir avec Tekouma », quatre mois après avoir acquis la charpente de ce nouveau parti et il opta de ne pas en faire part à personne parmi ses partenaires.

                          Matan Kahana

« La vérité, c’est qu’il faut deux partis politiques distincts » expliqua Bennett dans une missive destinée aux dirigeants du sionisme religieux, « un parti religieux préservant les besoins du sionisme religieux et de son noyau idéologique…. C’est Habayit hayehoudiTekouma… le second parti du petit peuple d’Israël, s’engageant sur la voie d’un partenariat laïc-religieux.” Cette explication creuse a été avalée. Elle avait quelque chose de séduisant en cela que Bennett et Shaked étaient censés attirer les laïcs et Smouteritch les religieux, et ainsi la force ajoutée serait accrue.

Alors que s’est-il passé ? La première démarche de ces séparatistes incluait une lettre destinée aux dirigeants des représentations locales de Habayit hayehoudi dans une tentative de les attirer vers la Nouvelle droite. La seconde démarche consistait à s’adresser aux rabbins de cette mouvance. Les laïcs dont il s’est avéré que les attirer était déjà une autre paire de manche, sont restés en dehors.

Je me souviens de moi-même en train de me frotter les yeux avec incrédulité en réalisant ce que je lisais dans les réseaux sociaux au sein du milieu religieux. Qui les suit de près a constaté qu’un public assez considérable était en proie à la confusion et consolait Bennett et Shaked comme on réconforte des endeuillés alors qu’aucun des deux n’était endeuillé, si ce n’est qu’ils ont eux-mêmes achevé le défunt.

D’une manière ou d’une autre, les élections ont alors eu lieu. 138 mille votes furent jetés à la poubelle. Netanyahou n’a pas pu former de gouvernement. De nouvelles élections ont été décrétées. Et alors Bennett est apparu comme si  rien ne s’était passé, et il a claironné : « je me représente ». C’était un moment clé avec des « je prends la responsabilité » et des « je reviens en toute humilité », mais en réalité, il n’y avait ni prise de responsabilité ni humilité, et surtout pas ce qui est demandé d’une personne qui a privé tout le camp national d’un gouvernement stable. Il n’y avait ni repenti, ni reconnaissance de la faute, ni aucune demande de pardon.

Ainsi, nous  sommes arrivés à ces élections, avec le désir de ressouder tout le sionisme religieux, en ayant bien intégré que toutes les divisions ne lui font aucun bien. Certes, on peut critiquer Netanyahou pour ses manquements, et comme nous l’avons constaté, la sagesse et l’expérience politiques ne garantissent pas toujours la victoire. Or avec un fait on ne peut pas discuter, Netanyahou a une compréhension rare et aigue de la politique et est prêt à aller jusqu’au bout pour arriver à ses fins. Netanyahou a compris que pour maximaliser les votes de la droite, il était tenu de couper toute mauvaise herbe susceptible de le gêner et de lui faire perdre des voix.

Cela a commencé par sa décision de payer un prix exorbitant pour englober la liste de Moshé Kahlon du parti Coulanou. Cela s’est poursuivi par la décision encore plus difficile de pardonner à Feiglin pour tout ce que ce dernier avait proféré contre lui, et de lui promettre ce qu’il fallait, et ainsi de le neutraliser. Parallèlement, qu’a fait Bennett ? Tout le contraire. Bennett a mis tout obstacle possible à l’union avec Itamar Ben Gvir. Si seulement ce bloc technique était tombé pour l’idéologie, on aurait pu le comprendre.

Si seulement Bennett avait dit qu’il n’était pas prêt à se joindre à des gens ayant une approche comme celle de Ben Gvir, on aurait pu être d’accord ou en discuter, mais cela nous aurait déjà menés vers un tout autre débat. Alors sur quoi cette union a achoppé ? Sur des bêtises, sur le placement dans la liste. Ben Gvir voulait la 5ème place. Bennett n’était prêt à lui accorder que la 8ème afin d’introduire devant Matan Kahana, son ami de longue date. Et pour ce désaccord idiot, Bennett et Shaked étaient prêts à tout faire capoter et à renoncer à Ben Gvir avec ses 78 mille voix (décompte au moment de la rédaction de ces lignes avant la terme du décompte final [notre de la traduction : le décompte final pour Otzma yehoudit est de 84 260 votes]).

Un instant ! Vous allez me dire : mais pourquoi accuser Bennett ?  Et la responsabilité de Ben Gvir ? Tout à fait d’accord, Ben Gvir aussi est responsable. Il aurait dû savoir qu’avec tout le respect pour les sondages, Otzma yehoudit ne passe pas le seuil d’éligibilité. Toutefois, deux réserves. La première est qu’après les élections du mois d’avril, on peut comprendre pourquoi Ben Gvir s’est entêté pour la cinquième place et que c’était raisonnable de sa part. En effet, cette semaine, Ben Gvir a démontré qu’il était capable de drainer plus de voixà lui seul que les autres candidats du sionisme religieux. Il est vrai qu’il n’a pas franchi le seuil d’éligibilité, entre autres, après une campagne particulièrement agressive contre lui de la part de Yemina et du Premier ministre. En revanche, Ben Gvir a démontré pour la première fois que toutes ses déclarations sur son réservoir de voix assez considérable étaient justes.

Matan Kahana est quelqu’un de très bien, mais en aucun cas il ne pouvait contribuer à cette liste un dixième du nombre des voix de Ben Gvir. Même après avoir pris en compte la possibilité qu’il fasse fuir une partie des électeurs. Ben Gvir a obtenu cette semaine un tiers de la quantité des voix de Yemina comprenant la Nouvelle droite, l’Ihoud Leoumi et Habayit hayehoudi. Ben Gvir n’avait pas exigé d’être placé en tête de liste. Il n’avait même pas demandé à obtenir un poste de ministre. Il n’avait pas demandé de devenir membre du cabinet gouvernemental. Il avait tout juste demandé que si on l’associe, pour ses électeurs il lui était important de se lever le lendemain du décompte des voix sans être exclu. Etait-ce exagéré ? C’est sur point précis que les pourparlers avec Yemina ont échoué.

Autre chose ? Ben Gvir dirige un parti d’extrémité. Il s’est trouvé en face de Bennett et de Shaked comme Feiglin s’est trouvé face à Netanyahou. Netanyahou n’a pas imputé à Feiglin la responsabilité de la chute de la droite, mais a compris qu’en tant que leader, il avait la responsabilité de faire en sorte que les voix de la droite ne se perdent pas. Et oui, on pouvait aussi s’attendre à ce que Ben Gvir comprenne que sa chance d’entrer seul à la Knesset était nulle. Néanmoins, on était en droit de s’attendre de la part de Bennett, qui en se regardant dans la glace y voit un futur Premier ministre, de faire preuve de leadership et non d’indifférence face à cette situation.

Maintenant, parlons encore chiffres. Au élections précédentes (avril 2019) Bennett et Shaked ont totalisé 138 000 voix et n’ont pas franchi le seuil d’éligibilité. L’Union de la droite de Habayit Hayehoudi, Ihoud Leoumi et Otzma yehoudit avait atteint 159 000 voix et ainsi raflé 5 sièges. 21 mille voix ont fait la différence entre échec et succès. On ne peut savoir précisément combien de voix Ben Gvir a contribué à cette union. Toutefois, même s’il n’avait pas contribué toutes les 78 000 voix (84 000) qui se sont prononcées pour lui cette fois-ci, mais ne serait-ce que la moitié, les chiffres  montrent tout bonnement que sans Otzma yehoudit, le rav Rafi Peretz serait aujourd’hui encore en train d’enseigner à Atsmona et Betsalel Smouteritch serait retourné travailler dans le service de conseil juridique de l’Association Regavim.

En telles circonstances, voir Smoutéritch qui ne s’est vraiment pas foulé pour associer Ben Gvir à la liste Yemina, et l’entendre avant-hier qualifier le leader d’Otzma yehoudit de « paon enflé » au lieu de lui envoyer une gerbe de fleurs avec une note de remerciement « soit loué celui qui m’a fait ministre », c’est comme assister à un cours de manque de conscience de soi.

Ayelet Shaked a été le grand espoir du sionisme religieux. Après un mandat très réussi comme ministre de la justice, le public a nourri en elle d’immenses attentes jusqu’à croire qu’elle pouvait parvenir au sommet de la pyramide. Cette illusion, et que les cieux témoignent avec quel regret je l’exprime, s’est écrasée dans un vacarme assourdissant. Il s’avère que Shaked est une femme d’action excellente capable de mener et de promouvoir des choses, mais l’avoir placée à la tête de Yemina a été une sorte de bluff dont il n’est pas clair à quel point elle y a participé, et à partir de quand elle en a été la victime.

Quand Bennett a cédé à Shaked la première place, on l’a dépeint comme un grand seigneur. De facto, Bennett savait très bien que sans Shaked, il n’avait aucune de chance de come-back. Sachant cela, il l’a mise au-devant de la scène. De sa quatrième place sur la liste, il a tiré les ficelles. Elle était censée vendre la marchandise et lui ramasser le cash. S’il y a besoin de le démontrer, rappelons le contrat conclu entre eux deux qui stipulait que si et quand ils intègreraient le gouvernement, il serait le premier à obtenir le plus important ministère. Avoir placé ainsi Shaked à la tête du parti consistait à duper les électeurs.

A-t-on jamais vu un parti politique dont la tête de liste est en quatrième position pour obtenir un ministère ? Et que se passerait il si ce parti n’obtenait seulement que trois ministères ? Il ne resterait plus pour la dirigeante que la présidence de la commission parlementaire sur   l’enfance ? Avez-vous déjà vu un parti politique où le numéro 4 choisit en premier le ministère qu’il désire ? Y’a-t-il plus grande duperie que cela ? Qui vote pour une liste où Netanyahou est le numéro 1 le veut comme Premier ministre. Qui vote pour le parti où Amir Peretz est le numéro 1 le veut à la tête d’un important ministère. Seulement au parti sioniste religieux, on a inventé une supercherie comme celle-ci où en tête de liste, est placée la présentatrice censée attirer les votes, et à la quatrième place se trouve celui qui est censé en bénéficier.

Jusqu’où ce bluff a été élaboré, un bluff où on la présentait comme le chauffeur du véhicule alors que Bennett détenait les clés – on a pu le voir la nuit des élections lorsque Shaked se trouvait au QG  de la campagne électorale et avait proclamé qu’elle était opposée à la séparation des diverses factions composant Yemina. Or  24 heures auparavant, le numéro 4 de la liste, Bennett, avait signé avec le rav Rafi Peretz et avec Smoutéritch un document stipulant que leur union était caduque.

Ce document donc, signé la journée avant qu’on ne se rende aux urnes, doit nous indiquer autre chose. Il nous apprend beaucoup sur ceux qui y ont apposé leurs signatures. Ils auraient pu attendre encore une semaine ou deux ; ils auraient pu réfléchir à cette manœuvre à tête reposée une fois les résultats des élections publiés. Or il s’est avéré que c’était ce qu’il y avait de plus pressé pour Bennett, pour Smoutéritch et pour Rafi Peretz à faire juste avant l’ouverture des urnes, à savoir annoncer leur divorce. Pour Bennett, il était important de proclamer qu’il n’avait plus rien à voir avec le rav Peretz. Et pour Smoutéritch il convenait de montrer qu’il n’avait rien de commun avec Bennett, comme le Juif classique qui plus que toute autre chose désire que tous sachent qu’il y a une synagogue où il ne mettra jamais les pieds. A quel point cela a été vexant, bas et pas sérieux.

Si la décence, l’intégrité et la modestie étaient de mise en politique, Bennett et Shaked auraient dû rendre les clés et partir, ou tout du moins, ce qu’ils ont insisté à ne pas faire jusqu’à présent, ils auraient dû baisser un tout petit peu les yeux et faire face au public, et pour la première fois, lui demander pardon.