Par Meïr Ben-Hayoun

Il y a 39 ans le 10 mai 1981, Mitterrand était élu Président de la République. Beaucoup dans la communauté juive accueillirent favorablement l’élection de ce candidat à la réputation de philosémite et de grand ami d’Israël.

Mitterrand s’était entouré de personnalités juives comme Mendès France, Georges Dayan etc. En 1967, son soutien à Israël avait été sans faille et il avait dénoncé le retournement de la politique étrangère de De Gaulle au détriment de l’Etat juif, suite à la Guerre des Six Jours.

En 1969, lors d’un meeting où Mitterrand était l’invité d’honneur, mon défunt père zal et mon oncle l’ont entendu proclamer qu’Israël devait garder Jérusalem réunifiée alors que la position française et même américaine après la Guerre des Six Jours voulait que Jérusalem soit sous tutelle internationale, corpus separatum appelle-t-on cela en Droit international.

Stands aux 12 heures pour Israël en 1976

Lors du grand happening “12 heures pour Israël” à Paris en mai 1976 qui avait réuni cent mille Juifs, des représentants de tous grands partis politiques avaient été invités. Pour le Gouvernement Giscard à l’époque, c’était Madame Simone Veil, la ministre de la santé. Bien que Juive et rescapée notoire de la Shoah , elle avait été huée par le public juif, cic en réprobation à la politique hostile à Israël du Gouvernement dont elle était membre.

Simone Veil à la tribune de l’Assemblée                   nationale en 1974

Quand ce fut le tour de Mitterrand à prendre la parole, il fut ovationné avec enthousiasme par le public le percevant comme le grand ami des Juifs et de l’Etat d’Israël.

Après l’élection de Mitterrand en 1981, on a cru que la politique pro-arabe initiée par le Général De Gaulle. Cette attente fut vaine.

En effet, Mitterrand certes a initié un changement de ton par rapport à Giscard d’Estaing. Il fut le premier Chef d’Etat français à effectuer une visite officielle en Israël au début 1982. Or dans les grandes lignes, il a poursuivi la politique pro-arabe de ses prédécesseurs : ventes d’armes à la Syrie, rapprochement avec la Ligue arabe, etc.

Quelques mois plus tard, en juilet 1982, cela a été confirmé de façon flagrante notamment lorsque Mitterrand a comparé l’opération de Tsahal au Liban au massacre d’Oradour sur Glane par les Allemands – non seulement une calomnie anti israélienne comme par la suite on en connues beaucoup, mais de surcroit, une forme de négationnisme, ce qui allait vite devenir à la mode après, et ceci bien avant les évènements de Sabra et Chatila à la mi-septembre 82.

Là, il n’y avait plus de doute sur son retournement de veste et son virage pro-arabe.

Au mois d’aout 82, c’est l’initiative de Mitterrand d’affréter un navire français pour sauver Arafat et ses troupes. Et des Juifs de Paris l’ont très bien compris quand il y a eu l’attentat terroriste qui a fait quatre ou six victimes au restaurant juif Goldenberg à la rue des Rosiers. Ces Juifs en colère ont manifesté en conspuant Mitterrand et avec raison alors qu’un peu plus d’un an avant, ils avaient probablement voté pour lui.

C’est à cette époque qu’a été publié le premier livre d’un genre qui fera florès par la suite, des essais analysant sur la désinformation sur l’Etat juif : “la réprobation d’Israël” d’Alain Finkielkraut  consacrant un chapitre entier à la calomnie d’Oradour-sur-Glane.

Beaucoup de Juifs jusque-là pro-Mitterrandiens se réveillaient avec la gueule de bois. C’était la perplexité chez beaucoup comme dans ma famille où on l’avait toujours soutenu.

Elie Wiesel décoré par Mitterrand

Quand ses accointances avec Bousquet et la gerbe sur la tombe de Pétain ont été révélées au grand public, on a compris que Mitterrand avait tout simplement embobiné les Juifs de France et leurs intellectuels.

Je me suis longtemps posé la question, qu’est ce qui l’a motivé à agir ainsi à se montrer aussi philosémite outre l’appoint de voix que pouvait lui fournir la communauté juive, moins d’1% des suffrages, pas grand-chose d’un point de vue électoral.

Mitterrand avait été haut fonctionnaire de Vichy. Il lui fallait le camoufler pour se frayer un itinéraire politique au lendemain de la Libération l’amenant jusqu’à l’Elysée.

Quand j’ai lu le livre d’un ancien ami de la gauche israélienne,  l’historien Simon (Simi) Epstein, “un paradoxe français”, je crois avoir trouvé la réponse.
Par ses recherches, Simon Epstein a fait sauter en éclats le mythe selon lequel la gauche française avait été résistante. Selon Epstein, la gauche française, SFIO et autres partis républicains de gauche, communistes également, ont massivement voté les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain. La plupart d’entre eux qui avaient été des philosémites dans les années 30 et amis de la LICA sont devenus les pires collabos comme Laval. Pour certains, des pronazis qui ont fait de la surenchère antisémite alors qu’en 1933, ils dénonçaient les exactions antisémites en Allemagne.

Le Maréchal Pétain et Mitterrand à Vichy

Pendant cette période sombre, Mitterrand n’était pas de gauche. Il était jeune haut fonctionnaire de l’appareil d’Etat vichyste. Ce n’est qu’après la Guerre que Mitterrand a rejoint les rangs de la gauche. Le parti socialiste purgeait de ses rangs les collaborateurs et voulait inscrire dans l’opinion publique française qu’il avait toujours été républicain, résistant et antiraciste. Le soutien au mouvement sioniste comme dans l’affaire de l’Exodus et à l’Etat d’Israël naissant offrait non seulement au parti socialiste, mais à toute la classe politique française, l’occasion rêvée de se refaire une virginité. Au passage, c’est ainsi qu’on peut comprendre cette époque de lune de miel entre l’Etat français et Israël entre 1948 et 1967 : expier l’infamie de la Collaboration.

Mitterrand au passé vichyste avait donc besoin qu’on n’aille pas trop fouiller son passé, surtout pas par des Juifs à l’affut des collabos après l’Occupation.

Mitterrand et Badinter dont le père a été déporté.

En prenant la tête du PS peu avant sa candidature aux élections présidentielles de 1965 face à De Gaulle, en se liant à des Juifs de notoriété comme Mendès France, Georges Dayan puis Jacques Attali, en flirtant de très près avec l’intelligentsia juive, en s’entourant d’Elie Wiesel, le témoin emblématique des rescapés de la Shoah, en étant avec ce dernier co-auteur de “mémoire à deux voix” – et surtout en prenant la posture de défenseur d’Israël, de surcroit après le retournement de veste pro-arabe de De Gaulle en 1967, Mitterrand se prémunissait qu’on lui étale son passé vichyste.

Même ses adversaires gaullistes n’y ont vu que du feu. C’est donc dans cette quête de se refaire une virginité et de réécrire l’histoire de la gauche française ayant massivement collaboré qu’il faut rechercher la motivation ostentatoirement philosémite et pro-israélienne de Mitterrand. Son soutien chaleureux à Israël s’est dilué comme par enchantement une fois qu’il était bien installé à l’Elysée.

Francois Mitterrand and Palestinian leader Yasser Arafat. (Photo by Pool DUCLOS/MERILLON/Gamma-Rapho via Getty Images)

Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, avec ce qu’ont été les relations entre Israël et la France sous la présidence de Mitterrand, il est totalement fallacieux d’en conclure qu’il était un ami proche d’Israël. Et c’est encore lui en accueillant Arafat et en lui octroyant une stature de chef d’Etat en 1989 qui a largement contribué à légitimer sur la scène internationale cet archi terroriste. Non seulement Mitterrand a poursuivi la politique pro-arabe de ces prédécesseurs mais il l’a sournoisement sophistiquée. Par trois fois Mitterrand a sauvé Arafat.

Mitterrand et Jean Daniel

Il a même réussi à convertir une bonne partie des intellectuels juifs vers la fin des années 80 à la cause de la création d’un Etat arabe d’invasion sur la Terre d’Israël dit Etat “palestinien”. Comment une bonne partie de l’intelligentsia juive pourtant réputée pro-israélienne a épousé cette cause ennemie d’Israël avec le soutien de notables d’institutions juives? Cela devra faire l’objet d’une étude approfondie. Au demeurant, la compromission de ces milieux avec le pouvoir mitterrandien n’y est pas étrangère.

Mitterand et Jacques Attali

Pour le judaïsme de France, il s’agit probablement de la plus vaste arnaque de son histoire contemporaine. Certains, dans la communauté ont été dupés à leur insu. D’autres et pas des moindres ont été complaisants comme nous l’avons signalé. Un vichyste détenteur de la francisque, nostalgique de Pétain, qui ne s’en est jamais repenti, a réussi à rouler dans la farine bon nombre dans cette communauté.

Jusqu’à aujourd’hui, des Juifs comme Badinter ou Attali ou Georges-Marc Benamou qui lui ont été proches se cramponnent dans le déni ou dans un demi déni.