Par Iyal Levi, interview publiée dans Maariv le 17.10.2014. Traduction : Meïr Ben-Hayoun

 Interviewé par le quotidien Maariv, le docteur Ouri Milstein est un historien iconoclaste qui étudie de façon systématique les problèmes de structure de la Défense israélienne. Selon lui, les mythes de Tsahal sont un écran de fumée dont l’objectif a été de d’empêcher toute critique et étude sérieuse des dysfonctionnements militaires lors des Guerres d’Israël.  Il affirme que ces problèmes se sont révélés une fois de plus lors de l’Opération Rocher inébranlable[i] : « Nous ne prenons pas l’initiative, nous ne tirons pas les leçons et nous nous déclarons vainqueurs. » Milstein n’en finit pas d’irriter l’Armée et l’Establishment. Il bout de colère lorsqu’il entend le Chef d’Etat-Major Benny Gantz déclarer qu’Israël est sorti vainqueur de la confrontation à Gaza.  MBH

 Cela fait des années que le docteur Ouri Milstein crie sur tous les toits que le roi est nu, même lorsque le peuple demande l’unité et le consensus comme lors de l’Opération Rocher inébranlable.

  Milstein a enseigné à l’Ecole de Commandement et d’Etat-Major de Tsahal (Pikoud Oumaté). Il relate qu’après avoir irrité les hauts gradés, il a été frappé d’ostracisme. Aujourd’hui,  à l’âge de 74 ans, il veut diffuser son message à l’école de l’ORT à Lod. Il enseigne à des lycéens le leadership sur un programme étalé sur trois années..

 « Ils constitueront le premier noyau » explique-t-il. « Dès que ce cursus sera rodé, on le reproduira dans d’autres écoles, peut-être dans tout le réseau éducatif de l’ORT. »

 Jusqu’à ce que vous irritiez encore ceux qui tirent les ficelles ?

 Vous savez la différence entre aujourd’hui et dix ans en arrière ? Le public est de plus en plus averti. On raconte cette anecdote sur deux généraux allemands échangeant leurs impressions sur l’Armée britannique pendant la Première Guerre mondiale. L’un deux fit remarquer que les combattants britanniques étaient des lions au combat. Son collègue lui répondit : « Oui, mais leurs officiers sont des ânes »

 Vous pensez toujours que nous n’avons pas tiré les leçons des précédentes guerres ?

 Nous avons très bien opéré pendant la Guerre des Six Jours, mais nous avons peiné pendant la Guerre de Yom Kippour. Les Egyptiens nous ont fait passer au rouleau compresseur. Pourquoi ?  Parce que nous avons mené la Guerre de Yom Kippour comme si c’était la Guerre des Six Jours alors que les Arabes en avaient tiré les leçons. Qui tire les leçons ? Celui qui s’est fait avoir. Il ne faut pas seulement se faire avoir, il faut être conscient qu’on s’est fait avoir. Nous ne sommes jamais conscients de cela.  Nous en arrivons toujours à proclamer « nous avons gagné, nous sommes les vainqueurs ! ». Si nous avons gagné, à quoi bon tirer les leçons ? Nous étions les plus beaux, les plus intelligents. Magnifique ! Les Arabes ont compris qu’ils avaient mangé la poussière en 67 et ont restructuré leur armée et renouvelé leurs méthodes de combat.

 Mais nous avons tout de même un leadership intelligent !

 Quel est le cœur du problème ? Le Foyer national juif et l’Etat ont été érigés par des gens qui considéraient que la guerre par nature n’est pas légitime. C’était leur idéologie, ce qu’on appelle aujourd’hui la gauche. Si vous posez la question pourquoi Ben-Gourion et ses comparses ont rejeté Jabotinsky, c’est parce que ce dernier considérait que la guerre était inéluctable et qu’il était urgent de mettre sur pied une véritable armée. C’est là-desssu qu’a porté la confrontation : ce débat virulent au sein du Mouvement sioniste portait sur des questions militaires. Tout le reste n‘était que décor. Ils proclamaient : « pas de violence ». Or, que s’est-il avéré ? Qu’il est impossible sans violence du fait qu’on t’agresse. Alors quelle conception a pris le dessus ici ? A la rigueur qu’il est permis de se défendre, mais qu’il est interdit d’attaquer et qu’il faut éduquer à la paix. Du moment qu’on s’est mis dans la tête de faire la paix et qu’on a lavé les cerveaux des jeunes avec le sacro-saint Shalom, alors pour tout un groupe de gens dirigeant l’Armée, la seule chose qu’ils comprennent, c’est qu’il faut faire la paix. Très bien, mais quand il faut faire la guerre, il faut bien faire quelque chose, et ce quelque chose là, ils ne le connaissent pas très bien. Et même les dirigeants de l’Etat ne le comprennent pas très bien ».

 Y-a-t-il un seul juste à Sodome ?

 Dans n’importe quelle armée, il y en a quelques uns qui sont intelligents. La majorité est très moyenne et une partie est bien loin derrière. Si vous voulez parler de courage ? Un courageux, c’est quelqu’un comme Albert Einstein qui surgit en affirmant que tous les physiciens avant lui se sont trompés. En général, dans ces systèmes, les courageux n’arrivent pas très loin, mais les gens qui savent se fondre, oui. Les intelligents dans ce système ? Dites-moi combien de militaires, combien de généraux ont rédigé de livres de réflexion théorique sur la guerre ? Prenez Ehoud Barak dont on dit qu’il est brillant et je veux bien le croire. Toutefois, il a été Chef d’Etat-major et Ministre de la Défense : quelle sa conception militaire ? Il n’a rien écrit. Qu’a écrit Yéelon ? L’histoire de sa vie : il a été dans tel mouvement de jeunesse, ensuite au kibboutz et il a raconté quelques anecdotes, aucune réflexion théorique sur un thème militaire. Ces gens sont démobilisés de l’Armée et entrent dans la vie politique ou dans les affaires et la norme est que tu dois accommoder ceux qui t’ont permis de progresser »

 Tout est permis

 Le docteur Milstein n’a pas un instant de repos. Si on ne lui permet pas paraitre dans un débat télévisé, ses réflexions, il les met en ligne sur youtube : acéré, acerbe, sans complaisance. Il raconte : « une fois, quelqu’un m’a dit que Rabin et moi, on était de la même trempe. Quand j’ai saisi que c’était pour me complimenter, je lui ai répondu : « toi comme Rabin, vous ne comprenez rien ».

 « Lors de Rocher inébranlable, on a été à la remorque, aucune initiative de notre part. De même, nous avons été à la remorque pendant la Seconde Guerre du Liban. Depuis Paix en Galilée[ii] il y a 32 ans, on ne prend plus l’initiative. On réagit. Quand, on réagit, l’ennemi peut nous surprendre. On dit toujours qu’on agira en lieu et en temps voulus. Ce sont des mots. L’ennemi lui agit en lieu et en temps qu’il choisit. Si le Hamas avait continué à nous lancer au goutte à goutte encore pendant une année entière et que nous aurions continué avec Dôme de fer, le coût nous aurait ruinés. Nos ressources ne sont pas illimitées. De facto, on peut dire que ce sont des amateurs et non des grands intelligents qui dirigent les choses. En revanche, en quoi sommes nous forts ? A créer des mythes : la Guerre de Kippour, Première guerre du Liban, et maintenant Rocher inébranlable. Étions-nous préparés ? Ce qui s’est passé, c’est qu’on nous a enlevés trois élèves de yeshiva-lycée et qu’ils ont été tués, et de là, tout a commencé »

 Ils ont été assassinés !!

 On ne doit pas dire « assassinés ». Le Hamas ou le Hezbollah n’assassinent pas, ils tuent. Ils nous combattent. Ils sont une armée.

 En état de guerre, on tue des militaires.

 Dans lequels des dix commandements est-il écrit qu’il faut tuer des militaires ? Prenez toutes les guerres de l’Histoire,  seulement des militaires ont été tués ? Les Américains et les Britanniques ont détruit la ville de Dresde où il n’y avait pas de militaires. Etaient-ils tenus d’éliminer des centaines de milliers d’Allemands ? C’est la guerre et il y a un ennemi ; l’ennemi a aussi des enfants et des personnes âgées. S’il ne veut point la guerre, qu’il ne soit pas ennemi. Prenez Hiroshima et Nagasaki. Avec seulement deux bombes, les Américains ont tué 150 000 milles personnes. Dans toutes les guerres d’Israël ensemble, nous n’avons pas tué 150 000 Arabes. C’est la guerre et chaque protagoniste combat selon sa culture et selon ses moyens ».

 On doit toute de même se comporter avec décence humaine !

 Le Hamas est une milice. Pour l’Irgoun et le Lehi, l’ennemi, c’était les Britanniques. Comment les avons-nous combattus ? Avec des chars, avec des avions ? Par la terreur ! C’est la même chose pour le Hamas. Ils nous combattent avec leurs moyens et la manière est de tuer qui ils peuvent, nous avoir par l’usure, nous faire la saignée, nous faire renoncer à notre volonté de vivre ici. Du moment qu’on les catalogue comme assassins et qu’on ressasse dans les médias qu’ils sont criminels, cela voudrait dire qu’on ne peut pas les tuer, mais qu’on doit les capturer et les juger. On ne tue pas des criminels, on est censé les juger et les mettre en prison.

A la guerre, on ne juge pas l’ennemi, on le descend. Faites attention à cette expression « civils innocents ». Si vous tuez des innocents, alors vous êtes un assassin. Pendant Rocher inébranlable, on nous a dépeints comme des assassins par notre faute et par notre stupidité parce que nous avons soutenu qu’eux sont des « assassins ». Ce que je veux dire, c’est que ce sont des ennemis et que, si ce sont des ennemis, on tue  qui se trouve dans le camp ennemi »

 Sont-ils tous passibles de mort ?

 Bien sûr ! C’est la guerre et jusqu’à qu’ils cessent de nous combattre, ils sont passibles de mort. Mais nous, avec nos gros sabots, on a proclamé « ce sont des assassins, des salauds, pas des militaires »

 Un échec continu

Quelle faute avons-nous commise pendant l’Opération Rocher inébranlable ?

 Que s’est-il passé ? On a dit qu’on la meilleure armée de l’air du monde. On va leur donner une raclée comme jamais et ça sera fini. Tous les anciens généraux trois et deux étoiles sont apparus à la télé et ont répété ce mantra. Cela aurait été vrai dans une certaine mesure si on avait décidé de raser toute la Bande de Gaza et de frapper partout et on aurait fait dix mille morts. Si on avait pris cette directive, peut-être aurait-on réussi avec une telle méthode.

 A votre avis, c’est-ce qu’on aurait dû faire ?

 Ce n’est pas ce que j’ai dit. Je ne vous parle pas maintenant en tant qu’Israélien, mais en tant que quelqu’un venu de loin, disons de Finlande. On dit toujours qu’on ne laisse pas Tsahal gagner. Tsahal ne peut pas vaincre parce qu’il n’a pas les outils. On a cru qu’avec des frappes aériennes, on allait en remontrer au Hamas et qu’il lèverait les mains en l’air. Que s’est-il avéré ? Que le Hamas a tout intérêt à ce qu’on lui tue le plus de civils. Ça lui rend service. Chez nous, quand des civils se font tuer, le Gouvernement risque de tomber. Chez eux, ils hurlent « vengeance ».

 On ne peut pas ignorer les destructions que nous avons infligées !

 Je vous en prie. Ils nous ont entrainés à faire opérer l’Armée de l’air quand ils se sont terrés sous terre. On a liquidé quelques pions, à la rigueur, des chefs de compagnie. Seulement vers la fin, on a commencé avec des éliminations ciblées, mais quand ? 45 jours après le début des hostilités. S’ils sont capables de tenir le coup face à nous aussi longtemps, ils ont gagné. C’est la règle qui a été instituée par Mao Tsé Dong. Un grande armée combattant contre des unités de guérilla et qui ne les extermine pas, c’est la victoire pour la guérilla. La même chose pendant la Seconde Guerre du Liban : si on n’a pas réussi à exterminer le Hezbollah, on a perdu. On ne s’attend pas à ce que le Hezbollah conquiert l’Etat d’Israël. S’il peut tenir le coup face à nous aussi longtemps, cela favorise la motivation contre nous dans le monde arabe.

 Que peut-on faire contre eux ?

 Le premier manquement est que depuis la Guerre de Yom Kippour, nous n’avons pas compris que le problème essentiel n’est plus de se mesurer à des armées conventionnelles, mais à la guérilla. Nous devons préparer l’Armée à ce type de guerre. Quelle est la faute ? Nous poursuivons avec des blindés et de l’artillerie qui sont bons pour combattre contre la Syrie et alors que la Syrie n’existe plus, et peut-être l’Egypte qui nous fera face et encore l’Iraq du temps de Saddam. Si on affronte l’Iran, ce seront des missiles contre des missiles. Le problème est que nous avons dédaigné ce type d’affrontement. On l’a appelé « sécurité courante ». Prenez les parachutistes, le Régiment 7 (Blindés),  un mois dans l’année, ils sont en activité de « sécurité courante » et c’est un fait qu’ils ne font pratiquement rien durant cela. Si vous prenez la Seconde Guerre du Liban et toutes les opérations militaires depuis, l’Armée ne s’est pas adaptée à ce type d’affrontements. Ce ne sont pas les combattants  le problème. Le problème, c’est le Chef d’Etat-major et les généraux, ceux qui prennent les décisions.

 Mais qui êtes-vous pour critiquer 

Alors comment se fait-il que vous êtes le seul à comprendre ces choses ?

 On me dit toujours : « vous avez bien exposé le problème ». Je vais vous dire quelle est mon expérience. L’Armée de Défense d’Israël me boycotte alors qu’il fut un temps où j’étais son enfant chéri. Je connais énormément de militaires et de hauts gradés en active et en réserve qui vous disent que cette Opération a été bêtement menée. Ceux dont la carrière ne dépend plus de l’Armée vous disent que c’est terrible et grave. Ceux qui dépendent encore de l’Armée veulent bien vous le révéler à condition que vous ne mentionniez pas leurs noms. Vous me demandez si les autres ne savent pas ce que je sais. Ils le savent et comment, et parfois même, ils m’ajoutent des éléments. Je vais vous donner un exemple : pendant la Première Guerre du Liban et avant, jamais les forces terrestres n’ont opéré en bonne coordination avec l’Armée de l’air et il y a eu des accidents fatals[iii]. On nous a développé ici toute sorte de choses perfectionnées et on ne parvient pas à coordonner entre un chef de compagnie tout en bas et le pilote dans les airs. Ce qu’on a dit lors de la propagande télévisée, c’est que pendant la dernière guerre, on est parvenu à une telle coordination. Mes recherches montrent qu’il en est tout autrement. Des gens savent et ne disent rien. Pourquoi ? Parce qu’on a créé une culture selon laquelle l’Armée est la meilleure du Moyen-Orient et l’une des meilleures au monde. Si vous la critiquez de l’intérieur, vous vous faites jeter.

 Très bien, mais qui êtes-vous pour critiquer des militaires expérimentés ?

 On dit que je ne suis qu’un simple sergent et que ça pose problème. J’ai été démobilisé des réserves comme officier professionnel universitaire. J’ai obtenu mes grades d’officier en réserves. Un officier professionnel comme moi, c’est l’équivalent du grade de Major. Vous m’interrogez sur les cours militaires que j’ai passés. Et Arik Sharon, quel cours a-t-il passé ? Il n’a même pas été au cours d’officier. Il est devenu général et personne ne soutiendra qu’il ne comprenait rien. Alors sur quelqu’un comme moi qui fait des recherches sur l’armée depuis 40 ans, qu’est-ce qu’on dit ? Que j’hallucine, que je suis dans la confusion. Ça n’a pas de sens.

 Les militaires n’essaient-ils pas de corriger ce qui est défectueux ?

 En Israël, les militaires n’ont pas d’éthique professionnelle. Les médecins en ont une. Des médecins qui ont vu un de leur un confrère commettre une erreur grave sont prêts à témoigner. Chez un militaire, l’approche veut qu’il y a des choses dont on ne parle pas, qu’on ne révèle pas : pourquoi le public doit-il savoir ? Dans notre pays, la priorité, c’est la guerre. La santé publique et l’éducation viennent après et en sortent bien endommagées. Et vous ne pouvez pas savoir comment les guerres ont été menées, quel en est le processus de prises de décisions, qu’est ce qui a été dit dans les concertations entre les officiers de haut rang. Tout est maintenu dans le secret.

Quand finalement, vous parvenez au matériau comme les documents de l’Affaire Harpaz[iv], le niveau est bas, très, très bas et vous découvrez que c’est comme ça que les choses se passent. Si vous avez une maison et vous ne vous préoccupez pas de la nettoyer, elle deviendra sale, même si vous ne l’avez pas salie. Les systèmes deviennent de plus en plus complexes et de moins en moins organisés.

 Avez-vous tenté de rencontrer quelqu’un tout en haut et de lui en parler ?

 J’ai rencontré le Premier ministre. Tout ce que je vous ai dit, je le lui ai dit. Vous m’objectez que personne ne pense comme moi. Le Premier ministre pense comme moi. Lors d’une rencontre avec Netanyahou, son chef de cabinet était présent. Qui était-ce ? Bennett. Netanyahou a été d’accord avec ce que je lui ai dit. Quelle a été sa réaction ? « Je ne pourrai pas faire la révolution ». J’ai même averti Arik Sharon de cela et lui aussi n’a pas été capable de faire quelque chose. J’en ai fait de même avec Ehoud Barak, et lui non plus.

 La statistique des guerres

 Le docteur Milstein ne se laisse pas interviewer. Il vous fait une conférence. Son savoir en histoire militaire est encyclopédique si bien qu’il est difficile de suivre les données disséquées qu’il apporte des actions militaires depuis la Guerre d’Indépendance, en passant par les protocoles de la Guerre des Six Jours. On peut laisser l’enregistreur allumé et revenir deux jours après et il continuera.

« Si le Hamas parvient à creuser des tunnels avec des moyens tout primitifs, nous, on ne peut pas le faire mille fois plus perfectionné ? »

Milstein précise ses idées pour vaincre lors de la dernière confrontation : « Imaginez-vous qu’on avait creusé un tunnel arrivant jusqu’à l’Hôpital Shiffa à Gaza[v]. Au début de cette guerre, la Sayeret Matkal aurait surgi d’en bas et sans tuer personne, aurait pris Haniyeh et tous les autres en les mettant dans des cages et les aurait emmenés ici. D’autres exemples ? »

 Oui, pourquoi pas ?

 Tsahal a fait une fois des plans pour téléguider des chars sans équipage, de même manière qu’il y a des avions sans pilote. Réfléchissons à 200 chars comme cela chargés chacun de 20 tonnes d’explosifs qu’on envoie en avant. Les gars du Hamas sont si malins qu’ils lancent des missiles anti blindés contre ces chars. Un seul char explose et tout le pâté de maisons n’existe plus.  Réfléchissez ce que peuvent faire 200 chars comme ça. Ce dont on a besoin c’est d’un groupe qui réfléchisse et conçoive ces choses pour les concrétiser. On n’a pas ces gens-là. On a des caporaux qui sont devenus des Chefs d’Etat-major. Ce qu’ils savent faire, c’est courir sur les collines, monter à l’assaut et dissimuler les échecs. Ils n’ont pas ce mode de pensée, ni l’intelligence, ni l’imagination pour concevoir de telles choses. Au Hamas, ils ont ça. Pourquoi ? Parce qu’ils n’ont pas de hiérarchie. Ils n’ont pas un cadre dans lequel chacun est redevable de l’autre. Il leur faut des tunnels ? Et bien on creuse des tunnels.

Le fait est qu’intellectuellement, Sadate a surpassé Golda, Dayan et Dado[vi] dans sa réflexion. Nasrallah nous a surpassés par la manière avec laquelle il a dirigé la guerre. Même chose pour le Hamas. Qu’est-ce qu’on fait ? On tue quelques Arabes. On prend d’autres Arabes en captivité. On les met en prison. On les nourrit, on leur donne à boire. On leur offre des études supérieures. S’ils étaient des petits terroristes, ils deviennent de grands terroristes et après on les libère et ils  mènent les guerres contre nous. Quel aveuglement, quelle idiotie, le fort contre David. Ils sont devenus le David, et pour nous, c’est une faute parce qu’on se fonde sur la bêtise de la puissance, ce que nous avons sans aucun doute.

 N’avez-vous pas décelé durant cette dernière opération des manifestations de courage ?

 Quel courage ? Vous combattez avec une armée puissante face à quelques terroristes. Il faut du courage pour cela ? Ça me fait rire. Si vous m’aviez dit que vous combattiez contre l’Armée de l’Empire du Japon pendant la Seconde Guerre mondiale, j’aurais compris.

 Des officiers ont couru en avant

 Pourquoi n’iraient-ils pas courir en avant ? Il est temps. C’est pour ça qu’ils sont majors. En général, les commandants  se battent pendant les guerres. Les soldats ont peur. Depuis les chefs de régiments jusque tout en bas, tous courent en avant. Prenez la Guerre de Yom Kippour, Doron Rubin[vii] ou Yaya[viii], ils n’étaient pas en avant ? Ouzi Yaïri[ix] le chef du Régiment 35, il a été à la Ferme chinoise[x]. Eux maintenant, ils ont eu une ferme chinoise ?

Il n’est point difficile de comprendre pourquoi Milstein est frappé d’ostracisme. Il n’y a pas une seule vache sacrée qu’il ne mène allègrement à l’abattoir, et avec agressivité. Bien qu’il soit très sympathique et plein d’humour,  on ressort de cette rencontre avec une angoisse intense et l’envie d’émigrer au Danemark voir si là-bas, le leadership se comporte selon ses standards.

 « On dit que le Hezbollah dispose de dix-mille missiles d’un rayon d’action de 200 kilomètres, d’un poids d’une tonne et d’une précision de 20 mètres » il nous prodigue encore une donnée apocalyptique. « Cela veut dire que si lors de la prochaine guerre, le Hezbollah est impliqué, toutes les installations stratégiques d’Israël, y compris les centrales électriques et les usines de désalinisation d’eau de mer, seront réduites en fumée. A Haïfa, il y a une usine de brome. Si elle explose, 200 000 personnes, des civils, seront tuées. Je ne dis pas que c’est ce qui se passera, mais vous connaissez les lois de Murphy.  Supposons que Tsahal et que ses chefs sont fantastiques, ce qui a été négligé ces dizaines de dernières années, on ne peut le réparer.

 Que nous reste-t-il à faire ?

 Ceux qui sont en haut de la pyramide de Tsahal veulent réussir.  Mais c’est devenu un dinosaure et ils ne le contrôlent pas. Les gens là-bas, ça ne les intéresse que très peu parce que chacun veut réussir sa carrière. Ils sont affectés à un poste pour deux ans, et sont promus de grade. Encore deux ans, et une autre promotion.  Que peut-on réaliser à un poste en deux ans ? Alors comment malgré tout cela, vit-on ici vous vous demandez ? Les Arabes sont d’un très bas niveau, mais chacun sait que le monde arabe s’éveille. Réfléchissez à cela : si DAESH prend le contrôle de la Jordanie, du Liban, de la Syrie et du Sinaï, ce sera un tout autre scénario. Ils peuvent s’acheter tout l’armement qu’ils veulent. Toutefois, il y a un point de lueur à l’horizon. Que nous ont dit les Prophètes d’Israël ? Qu’avant la Guéoula, la Délivrance, il y aura la Guerre de Gog et Magog[xi] et après elle, un ordre nouveau. Supposons qu’ils perpétuent des mégas attentats aux Etats-Unis et en Angleterre. Ce qui se passera est que l’approche humaniste s’affaiblira et il y aura toute légitimité à exterminer l’ennemi. Si l’approche actuelle affirme qu’il n’y a pas d’ennemis mais des criminels, on reviendra à l’époque où l’ennemi, il fallait le liquider. Peut-être qu’ainsi, nos problèmes trouveront solution. 


[i] « Rocher inébranlable » est une traduction plus appropriée pour l’Opération de Tsahal dans la Bande de Gaza (מבצע צוק איתן) que « Bordure protectrice » qui nous semble  une traduction très fantaisiste.

[ii] Opération Paix en Galilée ou Première Guerre du Liban en 1982

[iii] Pendant la Première Guerre du Liban, en juillet 1982, un chasseur bombardier de type Phantom a tiré sur une colonne de véhicules blindés de Tsahal qui avait avancé sans que le QG de l’Armée de l’air en soit informé. Le pilote a cru qu’il s’agissait de véhicules blindés syriens. Vingt-quatre militaires israéliens ont été tués par cette erreur tragique.

[iv] Affaire Harpaz du nom d’un officier du renseignement Boaz Harpaz qui a créé un faux document pour fomenter contre le Ministre de la Défense Barak par le bureau du Chef d’Etat-major Motti Ashkénazi.

[v] Le leadership du Hamas était enfoui dans un bunker souterrain sous l’hôpital Shiffa dans la ville de Gaza. Pour y arriver Tsahal aurait dû raser cet hôpital ou l’investir militairement, ce qui aurait alerté l’opinion publique internationale.

[vi] Dado, sobriquet du général David Eleazar, le Chef d’Etat-major lors de la Guerre de Yom Kippour.

[vii] Doron Rubin, né en 1944, a été le Commandant du Bataillon 202 des parachutistes pendant la Guerre de Yom Kippour où il s’est distingué. Promu au grade de Général en 1986. Démobilisé de l’Etat-major de Tsahal en 1991.

[viii] Yaya, sobriquet de Yoram Yaïr, deux semaines avant la Guerre de Yom Kippour, nommé commandant bataillon 50 des parachutistes du Nahal où il s’est distingué lors des combats sur les hauteurs du Golan. En 1982, commandant du Régiment des parachutistes lors de la Guerre du Liban, personnage haut en couleur et charismatique, admiré par ses hommes. Promu général en 1988. Chef du service des effectifs de Tsahal jusqu’en 1990. Attaché de Tsahal à l’Ambassade d’Israël à Washington avant sa démobilisation.

[ix] Ouzi Yaïri (1936-1975) Commandant du Régiment 35 des parachutistes lors de la Guerre de Yom Kippour. Lors de la prise d’otages par des terroristes de l’OLP à l’Hôtel Savoy à Tel-Aviv le 5 mars 1975, Yaïri prit part à l’irruption pour libérer les otages. Il fut tué ainsi qu’un autre combattant de Tsahal et sept otages.

[x] Le combat de la « Ferme chinoise » (החווה הסינית). A L’Ouest du Sinaïentre le 14 et les 17 octobre 1973, le bataillon 890 du Régiment des parachutistes fut envoyé dans ce secteur pour liquider des équipes égyptiennes de chasseurs de blindés afin de permettre le passage des chars israéliens pour la contre-attaque en direction du Canal de Suez.  Dans ce secteur, une division égyptienne était déployée sans le QG des paras en fut informé. Ce fut la « vallée de la mort » l’une des grandes tragédies de la Guerre de Yom Kippour dont des actes bravoure inouïs pour extraire les combattants pris ce traquenard ainsi que les blessés et tués. En une seule nuit, le Bataillon 890 eu 40 tués et 150 blessés.

[xi] Guerre de Gog ou Magog, la Guerre des ‘temps reculés’. Bible, Livre des Prophètes, Ezéchiel