Source: Mida

Par Motti Ohana, traduit de l’hébreu par Meïr Ben-Hayoun

“Protéger et ne pas être vu” le sigle du Shabak

Il y a une organisation en Israël qui ne rend jamais de compte, qu’on ne tient responsable d’aucun échec et qui s’esquive à tout contrôle public.

“Ils nous ont trahis” dira du Shabak le défunt juge Moshé Landoy[i], ex président de la cour suprême, nommé pour examiner les procédures de pressions physiques sur des terroristes. Dans une interview à Ari Shavit du quotidien Haaretz: “j’ai dit aux gens du service de sécurité générale (shabak) que nous nous sentons trahis par eux….. car nous leur avons accordé crédit. Nous avons vu des choses pas faciles. Nous avons observé des normes  corrompues. Nous avons constaté comment ce qui est gris a entaché le service de sécurité générale….. le Directeur du Shabak nous a dévoilés et promis de nettoyer les écuries. Je pense qu’il en avait l’intention. Mais ceux qui lui ont succédé se sont comportés autrement. Et selon toute vraisemblance, il y a eu des messages à double emploi, une loi selon la lettre par la Commission Landoy et une loi orale sur le terrain. C’est cela qui est grave, car au sein du service, la vérité doit être totale. Si cette vérité s’effrite, gare à ce service à qui l’Etat assigne un rôle si vital.”

Le Juge Moshé Landoy

Landoy ne se serait pas imaginé qu’après une réunion avec les patrons du Shabak, leur exposant ses recommandations sur les limites à ne pas dépasser dans leurs enquêtes, leur expliquant quand il est permis d’exercer des pressions physiques sur un suspect, et d’un revers de main, ils donneront comme consigne à leurs subordonnés de ne pas mettre en application les directives qu’un instant auparavant ce qu’ils ont proclamé adopter.

Les patrons du Shabak ne s’embarassaient d’aucune contingence pour obtenir ce qu’ils voulaient. La Procureure de l’Etat et ancienne juge Dorit Beinish a soutenu qu’à l’époque où elle était en fonction: “Au Shabak ils ont inventé sur moi une histoire de toute pièce pour me faire quitter mes fonctions”

Abraham Shalom, Directeur du Shabak de 1980 à 1986

Itzhak Shamir alors Premier ministre s’exclamera : “je n’aurais pas cru qu”Abroum[ii] me mentirait à moi aussi”. Abraham Shalom est le directeur du Shabak  qui a menti à Shamir concernant l’exécution des terroristes de l’autobus 300 et qui a même soutenu que c’est Shamir qui lui aurait donné l’ordre de faire exécuter lesdits terroristes.

Le juge Landoy, Dorit Beinish et Itzhak Shamir décrivent ce qui s’était passé à la fin des années 80, début 90; Certains appelleront cela “la cuisine interne du Shabak”, une manière de faire ne reculant devant rien pour parvenir à ses fins, que ce soit au travail ou en dehors, devant un juge ou devant un Premier ministre. Ils savent tout et personne ne viendra vérifier.

L’organisme protégé dans du coton

Dans toute l’histoire moderne d’Israël, aucun organisme de la défense n’a bénéficié de tant de mansuétude de la part des dirigeants de l’Etat, et de même de la part des autorités judiciaires. Pas un seul organisme en Israël n’aurait pu traverser avec aussi peu d’encombre l’Affaire de l’autobus 300 où les agents du Shabak ont voulu faire porter le chapeau de l’exécution des terroristes à l’officier principal du corps d’infanterie et de parachutistes, le Général de Brigade Itzik Mordehaï. Au terme de cette affaire, aucun agent du Shabak ne fut condamné. Les exécuteurs furent graciés avant même la tenue du procès. Le Conseiller juridique du Gouvernement fut limogé, tout ceci pour préserver le Shabak. Car préserver le Shabak, c’est préserver l’Etat.

la photo du captif avant son exécution. Lorsqu’elle fut dévoilée les visages des agents étaient cachés

Dans les années 80 et début des années 90, le shabak s’est géré de façon autonome et a été protégé par les services de l’Etat. Un ancien haut placé du Shabak m’a soutenu lors d’une conversation : “il est vrai que nous mentions devant les tribunaux. Il est vrai que nous avons proféré de faux témoignages. Juste que nous le faisions en coopération totale avec le Parquet. Les procureurs nous faisant témoigner à la barre nous avaient aider à fabriquer les mensonges”.

Dans la culture du Shabak jusqu’à présent, il est permis de mentir à tout le monde sauf en interne, au sein du service. Il est permis de gonfler des renseignements qui leur sont importants. Il leur est permis de minimiser des renseignements communiqués à l’échelon politique. Tout sera pardonné sauf de mentir à l’intérieur du service. Un menteur au sein du service sera éjecté sur le champ. Pas de pardon pour un mensonge en interne.

Yaacov Peri le “trompettiste”, directeur du Shabak de 1988 à 1994

Vous vous souvenez de Yaacov Peri[iii]? Il a été un remarquable et glorifié directeur du Shabak. Sans pour autant savoir son nom en temps réel, tout le monde savait que le directeur du Shabak était le “trompettiste”. Tout le Shabak savait que son directeur n’avait pas servi dans Tsahal alors qu’on l’avait commercialisé au peuple d’Israël comme parachutiste. Personne au sein du service n’osa exposer ce mensonge à l’extérieur, que le directeur ment, car il est interdit de porter atteinte au service, mais il est permis de mentir à tout le reste.

Assassinat de Rabin, rapport de commission d’enquête toujours confidentiel

Le plus cuisant échec du Shabak jusqu’au 7 octobre dernier, c’est l’assassinat du Premier ministre Rabin. Même l’enquête sur cet évènement des plus bouleversant pour la société israélienne est restée confidentielle sous la pression du service – bien entendu pour ne pas porter atteinte au Shabak. Le citoyen lambda ne mérite-t-il pas de savoir comment un Premier ministre a pu être assassiné ???!!!!  Il n’y a pas de discussion sur le fait que le Shabak était au fait de menaces sur la personne de Rabin. L’auteur de ces lignes, alors étudiant à l’Université hébraïque de Jérusalem a entendu quelqu’un connaissant des personnes désirant assassiner Rabin quelques mois avant l’assassinat. Il s’était adressé au Shabak pour lui communiquer cette information. Le Shabak était au fait de l’intention d’assassiner Rabin. En dépit de cette information, il n’a pas renforcé la protection rapprochée sur le Premier ministre. Consécutivement, la Commission Shamgar a été assignée à l’enquête sur l’assassinat de Rabin, or son rapport est resté secrèt jusqu’à présent, sous scellé aux archives de l’Etat. Et personne ne sait réellement ce qui s’est passé au sein Shabak pour  une telle négligence sur la protection du Premier ministre Rabin. Ceci alors que toutes les informations sur le danger imminent étaient à disposition. Cela met en relief avec quelle complaisance on traitre le Shabak.

Sur cette affiche appelant à la rebellion contre le Premier ministre Netanyahou, à gauche Carmi Gilon, le directeur du Shabak lors de l’assassinat de Rabin

Personne ne remet en question la contribution gigantesque du Service de sécurité générale d’Israël. Personne ne doute de la qualité de ses employés dévoués corps et âmes. Personne ne doute de leur courage et que des vies humaines sont sauvées en grand nombre par leurs efforts. En revanche, on ne peut éluder ce qui n’est pas si positif dans cet organisme, ce qui en général caractérise ses hauts responsables.

Attentat du soir du seder à l’hotel Park à Nata nya le 27/03/2002 qui fit 30 tués et 160 blessés

Ce service s’est érigé de telle manière qu’on ne saura presque jamais quels ont été ses échecs opérationnels. On ne nous fera savoir que ces succès, comment il a intercepté des attentats. De sorte qu’il apparait comme un organisme qui ne se trompe jamais. Le public n’a jamais entendu parler d’un chef de service ou d’un enquêteur renvoyé consécutivement à une négligence opérationnelle. On n’entendra jamais parlé d’un chef de service directement responsable d’un attentat suite à une conduite non professionnelle. Le Shabak saura toujours faire écho à ses réussites et à camoufler ses échecs. Vous entendrez toujours parler “d’un renseignement communiqué par le Shabak avec lequel une équipe de terroristes a été éliminée”. Or vous n’entendrez pas parler d’un renseignement que la Shabak n’a pas transmis et à la suite duquel il y a eu l’attentat de l’Hotel Park[iv].

Youval Diskin, Directeur du Shabak de 2005 à 2008, un des meneurs de la rebellion contre le Premier ministre Netanyahou depuis 2010.

Prenez Tsahal. Des terroristes font intrusion depuis le territoire égyptien. Trois militaires sont tués. Le commandant du secteur est limogé illico. Jamais on n’entendra quelque chose de semblable avec le Shabak. Il est interdit de l’examiner et si toutefois on l’examine, le public ne saura jamais si un des employés a été limogé. Pourquoi ? Parce que le Shabak ne rend pas de compte au public israélien.

Le système qui le couvre

L’absence de supervision publique sur le Shabak fait de cet organisme un trou noir au sein de la société israélienne. Cela empêche les rayons du soleil d’y pénétrer. Le Shabak exploite le secret pour cacher du public israélien son fonctionnement internes, ses échecs ainsi que, parfois, les actions illégales de ses employés.

Tans que l’Etat d’Israël, ses dirigeants et ses journalistes continueront à l’envelopper dans du coton, les procédés indignes seront ancrés et le Shabak perdra la confiance du public sans laquelle il ne peut pas opérer dans un Etat démocratique.

Ronen Ber nommé Diirecteur du Shabak par Naftali Bennett

 

Prenons par exemple la procédure de nomination de l’actuel directeur du Shabak, Ronen Ber. Il n’était pas le candidat préféré par Naftali Bennett. Pourquoi Ber a été choisi et par R., c’est le sujet d’un autre article. Au soussigné de cet article, une plainte est parvenue sur la conduite de Ronen Ber, une conduite inadaptée à la fonction précédemment sa nomination. Cette plainte comprenait des noms et détails et une enquête pas compliquée aurait mené à la vérité.

Sans s’étendre sur la nature de cette plainte (par respect de la vie privée) j’ai tenté de la communiquer à deux journalistes connus dans le pays pensant qu’ils pourraient la traiter sans problème. Tous deux m’ont fermement signifié dans une langage familier “laisse nous tranquille avec cette barique de poudre”.

J’ai constaté qu’il n’y avait pas comment avancer. Je me suis adressé donc à la commission de recommandation pour les nominations de hauts fonctionnaires du secteur public à la tête de laquelle siège le Juge Eliézer Goldberg. La commission a reçu la plainte, ne l’a pas sérieusement vérifiée. Peut-être ne l’a-t-elle-même pas vérifiée. La commission n’a pas convoqué les témoins dont les noms étaient mentionnés dans la plainte, n’a pas demandé au candidat à la direction du Shabak de passer par le détecteur de mensonges. Elle a entériné sa nomination en une heure.

Avec Naftali Bennett, Nadav Argaman, Directeur du Shabak entre 2016 et 2021, opposant farouche à la réforme judicaire du Gouvernement Netanyahou

Eh bien, on sait que le Shabak, on ne le vérifie pas, mais le candidat au poste de Chef d’Etat-major de Tsahal qui a planté des arbres contrairement aux règlements, on le disqualifie.  Un an après, j’ai demandé à obtenir le protocole de ladite commission dans le cadre de la Loi sur le libre accès à l’information, pour apprendre comment et pourquoi la plainte n’a pas été vérifiée et ce qui a été dit pour qualifier un directeur du Shabak malgré une plainte non négligeable contre lui. La réponse de la conseillère juridique de cette commission était hallucinante : “la commission n’a pas rédigé de protocole de sa réunion et n’était pas tenue de le faire”. Ça se passe de commentaire.

Le méga échec du shabbat noir.

On ne peut terminer cet article sans parler de la Guerre des glaives de fer. Selon mes sources, le 7 octobre, lorsque la guerre a éclaté et que le directeur du Shabak a saisi l’ampleur de l’effondrement du Renseignement, il voulait démissionner, or le Premier ministre n’a pas accepté sa démission.

Victimes du massacre du 7 octobre à Beeri

Il faut savoir que le Shabak a échoué de façon colossale le 7/10. Le Shabak était assigné à fournir le renseignement de source humaine (humint) alors que l’armée devait fournir le renseignement d’observation. La Bande de Gaza est en quelque sorte la “chasse gardée” du Shabak pour ce qui touche au renseignement. Tout s’est effondré. Cinq mille terroristes qui se réunissent à 3 heures du matin et le Shabak n’a pas la moindre idée si c’est un exercice ou une invasion. Des milliers d’ouvertures et des centaines de kilomètres de tunnels et le Shabak n’en a pas la moindre idée. Aveuglement tota!

Le matin de cet évènement tragique, le directeur du Shabak craignait qu’il y ait invasion partielle et  conquête de quelques localités. Il a envoyé l’équipe sépciale d’intervention Tequila à l’un des kibboutzim pour en extraire deux agents du Shabak, afin qu’ils ne soient pas touchés ou pris en otages en cas d’invasion. Qu’est ce qui s’est passé dans la tête du directeur du Shabak pour évacuer deux de ses employés ??? Et au même moment, il n’a pas songé à faire évacuer tous les membres de ce kibboutz ???!! Il n’a pas fait évacuer la nova partie ??!! Et il n’a pas informé de ses craintes, ni le Premier ministre, ni le Ministre de la Défense ????!!! Seul lui le sait.

Il y a quelques jours de cela, il a été publié que le directeur du Shabak a fait remplacer le responsable du secteur Sud. Selon le Shabak, ce remplacement était prévu depuis longtemps. Or toute personne qui comprend un tant soit peu ces choses sait qu’on ne remplace pas un responsable du secteur Sud en pleine guerre.  Sauf si selon le Directeur du Shabak il a failli dans sa fonction aussi bien à avertir qu’à gérer la guerre. Le Premier ministre n’aurait jamais entériné ce remplacement si le responsable de ce secteur ne peut plus rien contribuer.

Et voilà ce qui importe: il y a un fil conducteur liant les échecs du Shabak avec le 7 octobre. Un organisme accoutumé à ce que tout lui soit permis, que ce qui passe en son sein ne soit jamais exposé, que ses échecs sont dissimulés du public et que a supervision est très légère, un tel organisme se permet au final de faire fi même du Premier ministre à qui il est pourtant directement subordonné, ceci en ne lui faisant pas connaitre l’intention de l’ennemi de prendre d’assaut des localités en Israël.

J’appelle de tous mes vœux à ce que la commission d’enquête qui sera nommée après la guerre examinera le Shabak bien dans le détail, du fait qu’il est le principal responsable pour le non avertissement à ce qui allait nous tomber dessus et à l’aveuglement sur le renforcement du Hamas dans la Bande de Gaza.

Motti Ohana est diplômé en études orientales et histoire du peuple juif à l’Université hébraïque de Jérusalem. Il a été conseiller du ministre des Finances et porte-parole du ministère des affair

[i] Le Juge Moshé Landoy (1912-2011). Président de la cour qui a jugé Adolf Eichmann en 1961. Juge à la cour suprême de 1951 à 1982, il en sera le Président de 1980 jusqu’en 1982. En 1987, Président de la Commission Landoy statuant sur les procédures du Shabak suite à l’Affaire Nafso et à l’Affaire de la prise d’otages des passagers de l’autobus 300 en 1984. Pourfendeur de l’activisme judiciaire de son cadet le juge Aharon Barak, dans une interview au quotidien Haaretz en 2000, le juge Landoy dira : “Platon dans son livre la République proposa de confier le pouvoir à des sages ayant reçu une éducation spéciale. Parfois, il semble que la plupart des juges de la cour suprême en Israël s’imposent en tant que pouvoir des sages”

[ii] “Abroum”, Abraham Shalom (1928-2014), Directeur du Shabak de 1980 à 1986, notamment lors de l’Affaire de l’autobus 300.

[iii] Yaacov Peri, né en 1944. Directeur du Shabak de 1988 à 1994. Surnommé le “trompettiste”. Député de la Knesset pour le parti Yesh Atid de 2013 à 2018, Ministre de la Science et de la Technologie en 2013.

[iv] Attentat suicide à l’Hôtel Park à Nataniya le 27 mars 2002 qui fit 30 victimes et 160 blessés.